Faux « digital natives », égalités illusoires, révolution numérique inachevée… Et si l’enseignement du numérique était moins reluisant qu’on ne l’imagine ? C’est ce que révèle l’étude internationale ICILS (International Computer and Information Litteracy Study) qui paraît ce mardi. Menée par l’IEA (Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire), elle évalue les compétences numériques de plus de 3 000 élèves français en classe de quatrième et de plus de 2 000 professeurs. La France, qui participe pour la première fois à l’étude aux côtés de onze autres pays (États-Unis, Allemagne, Danemark, Finlande, Corée du Sud…), occupe une position médiane. Et ses résultats, qui font s’effondrer quelques mythes autour du numérique à l’école, surprennent.
1. La fin du « digital native » ?
Le « digital native », ou l’expert en numérique par essence – puisqu’il est né avec –, serait moins habile qu’on ne le pense. Et pour cause, l’étude révèle que 13 % des élèves français (18 % pour les pays réunis pour l’étude) ont une maîtrise « très limitée » du numérique (ce qui revient, par exemple, selon les tests, à accéder à un lien hypertexte). À l’inverse, seulement 1 % des adolescents (2 % pour les pays réunis pour l’étude) savent faire preuve d’esprit critique (face à un mail frauduleux ou un article de presse, par exemple) et sont conscients des enjeux numériques (de confidentialité et de sécurité, notamment). « La preuve que l’école a, ici, un vrai rôle à jouer », explique au Point Thierry Rocher, président de l’IEA
2. Une fracture numérique pérenne
Avec la persistance de la fracture numérique, c’est un autre mythe qui s’effondre. L’idée selon laquelle le numérique « gommerait » les inégalités sociales, dont on peut observer les effets dans des disciplines plus traditionnelles (comme le français et les mathématiques), n’est pas confirmée par les chiffres. Les dernières études Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) le révélaient déjà : « La fracture numérique demeure et le poids des facteurs socio-économiques y est pour quelque chose ! » regrette Thierry Rocher. « Le domaine des TIC [technologies d’information et de communication] n’est pas plus démocratique que les autres », confirme le spécialiste, dont l’étude révèle l’impact de la catégorie professionnelle des parents, de leur niveau d’études ou encore du nombre de livres à la maison sur les compétences numériques à l’école.
3. Une révolution numérique en suspens
Les résultats de cette vaste étude révèlent enfin combien, dans les classes françaises, l’usage du numérique reste limité. Seulement la moitié des professeurs de l’Hexagone ont recours aux TIC (contre 72 % au Danemark) et ils en font bien souvent un usage restreint – se limitant au traitement de texte et aux présentations. Une frilosité qui repose majoritairement sur la confiance des professeurs en leurs propres compétences et sur leur perception des TIC (pourtant globalement positive). « On est encore loin de la révolution numérique », constate Thierry Rocher. Il faut dire que l’« on s’interroge encore sur les meilleures pratiques en la matière » et que « l’usage du numérique en classe fait encore débat », nuance le spécialiste.
Mais, s’il est un mythe que les tests n’ont pas contredit, c’est celui du rapport des adolescents aux nouvelles technologies en dehors de l’école. Et pour cause : si 8 % déclarent employer les TIC en classe, les statistiques atteignent les 76 % lorsqu’ils la quittent (contre 18 et 70 % pour la moyenne de l’ensemble des pays réunis pour l’étude). Un hiatus qui pose une question, pour Thierry Rocher : comment « l’école peut-elle faire le pont entre l’usage intensif et récréatif du numérique et son usage limité et scolaire » ? « Un sujet d’avenir », pour le spécialiste.
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