Pascal Perri: «Le digital est le grand vainqueur de la période en cours»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le ralentissement de l’économie réel bénéficiera aux offres dématérialisées, argumente l’économiste Pascal Perri. Cette situation doit selon lui encourager la France à développer une certaine indépendance numérique et à se réarmer dans la guerre technologique en cours.

Pascal Perri est géographe et économiste. Il anime l’émission d’économie «PerriScope» chaque jour de 16 à 17h sur LCI.

La crise du Corona Virus se traduit par une panne de l’économie réelle, une mise à l’arrêt ou un ralentissement de l’appareil de production. À l’inverse, elle correspond à une poussée des usages numériques. Tous les yeux sont actuellement tournés vers la cinétique de la pandémie mais une fois celle-ci vaincue il faudra se pencher sur le champ de bataille et identifier les victimes et les vainqueurs. Nous devrons tenir compte de cet inventaire pour apprécier notre vulnérabilité.

La période en cours marque la victoire par KO des offres dématérialisées.

La période en cours marque la victoire par KO des offres dématérialisées. Le digital sort vainqueur de la panne économique générale du monde. Premier constat, Google, maître de la géolocalisation, règne en chef d’orchestre numérique sur les mouvements de population. L’entreprise a recueilli, trié et analysé les données des utilisateurs de Smartphone dans 131 pays pour mesurer le suivi réel des mesures de confinement.

En France, ces données agrégées et anonymisées ont permis de conclure que plus de la moitié des Français n’étaient plus à leur bureau et que les parcs, jardins ou plages restaient assez sensiblement fréquentés dans le midi de la France, plus qu’en région parisienne. Jusqu’à ce jour, on comprenait l’intérêt des API (interface) de cartographie pour trouver un commerce, un restaurant, identifier et bâtir un itinéraire. Bismarck disait: «la géographie, ça sert à faire la guerre». On pourrait ajouter avec Google que fabriquer les cartes et les faire évoluer, ça aide à la gagner. Or, dans ce domaine, le moteur de recherche et ses services subordonnés comme Google Maps ont acquis une avance décisive, parfois avec la complicité des Autorités de la concurrence européenne ! Le roi du marché n’est plus celui qui rencontre le client mais celui qui connaît ses goûts, ses habitudes et qui le localise en temps réel.

Qui sont à ce stade les grands vainqueurs de la longue traversée du désert imposée à plus de 3 milliards d’individus ? À l’échelon du monde, ce sont les grandes sociétés du digital. Dans l’acronyme GAFAM, les trois premières lettres Google, Amazon, Facebook (et ses applications) marquent des points. Leur activité a augmenté ou s’est maintenue. Amazon s’est transformé en Service public de l’approvisionnement de guerre en temps de paix: l’entreprise a vendu et même survendu le «kit de survie médical», thermomètres, gel hydro alcoolique puis le «kit de survie en famille», jeux de société, feutres, cahiers de devoir, Monopoly…

Les liens de communication digitale entre confinés ont remplacé les habituelles rencontres incarnées. Ainsi, WhatsApp, l’application de Facebook, est devenue le téléphone militaire de campagne du champ de bataille et Skype a été non seulement utilisé par les familles et les amis pour garder le contact mais aussi et surtout par les chaînes d’information pour joindre leurs invités, eux aussi confinés et les passer à l’antenne.

La maîtrise de la technologie et des infrastructures de communication est un puissant levier dans la guerre de l’information.

La France plutôt observante des requêtes de confinement s’est massivement convertie au télétravail. Pour résumer, le pays se divise en trois familles à peu près égales. 1/3 est à l’arrêt, 1/3 sur son lieu de travail, 1/3 en télétravail. Le travail à distance requière des conditions particulières et s’adosse à la transmission d’informations parfois très confidentielles par la boucle digitale. Les ingénieurs informatiques disent à cet égard des choses contradictoires. Certains affirment qu’on peut protéger ses données et protéger leur transmission, d’autres répètent que tous les pare-feu du monde comportent des failles.

La vérité oblige à reconnaître que ces données transitent par des écosystèmes américains. Ne soyons pas naïfs, la maîtrise de la technologie et des infrastructures de communication est un puissant levier dans la guerre de l’information et dans la capture des connaissances. Les cas d’espionnage à distance sont trop nombreux pour que la question ne se pose pas: les voies de circulation de l’information dans le domaine des affaires sont-elles parfaitement sûres ? Par le passé, nos amis américains n’ont pas hésité à sortir l’arme du Patriot Act pour estimer que telle ou telle information regardait leur sécurité nationale et justifiait dès lors une action extraterritoriale.

Qui contrôle les routes et les portes du château contrôle le château. Il faut se rendre à l’évidence, au pire, nous n’avons pas le contrôle des voies de circulation, au mieux nous sommes sous la menace de passagers clandestins !

Recherche
Réseaux-Sociaux
Newsletter